• Antoine VINCENS DE TAPOL

La muerte del Sol

« Les lourds massifs rougis de ton sang, ô soleil ! »
Leconte de Lisle

On dit qu’avant la tempête, les oiseaux se taisent, la nature fait silence, les feuilles se figent. Seuls les humains ignorent la menace inquiétante. Elle hurle pourtant gorge déployée mais dans une langue que la plupart ne parle plus.
Dommage.

En Colombie, le voyageur regarde avec ses yeux béats la douceur évidente d’un monde généreux. Car là-bas, la nature l’est, généreuse.

Elle abonde. Pas d’hiver pour contraindre le cultivateur, il suffit de glaner.

Il y a quelque chose d’insouciant dans l’abondance, de tendre la main. Savez-vous que l’Eldorado se situe quelque part sur les terres colombiennes ?

El pais dorado, le pays doré. On disait qu’il fallait simplement se baisser pour ramasser l’or sur les chemins. Ils se sont trompés de trésor.

Pendant ce temps, les hivers rudes en Europe plongeaient dans l’angoisse ses habitants, ne sachant si avant la nuit, ils souperaient. Eux aussi voulaient un pays doré, ils ne l’ont jamais oublié.
Les gènes ont de la mémoire.

La Nature aussi a de la mémoire.

Les oiseaux se sont tus. Le vent s’est arrêté. Le ciel a grondé. Il est devenu rouge. Rouge comme le sang. Une colère. Et le sacrifice de ses enfants sur l’autel d’un monde qui prend sans donner.

J’ai vu des caresses intéressées sur le tronc des arbres, j’ai vu la rivière devenir ruisseau, j’ai vu le vert se changer en noir, la neige tomber dans la forêt, j’ai entendu le chant des humains se faire complaintes. J’ai reçu des regards d’amour et d’autres perdus. J’ai senti l’abondance doutée.

Des larmes de crocodiles. Là-bas on les appelle caïmans. Je ne les ai pas vu. Ni de tapir, ni de jaguar. Il paraît qu’ils étaient loin. De plus en plus proche aussi, puisque la forêt rétrécit. Nous allons tous échouer sur la même photo de famille, qui sait. Je n’aime pas les photos de famille, il y en a toujours un qui se place au centre.

J’ai vu tant de beauté, tant de douleur aussi. Et ce rouge brulant du soleil…un soleil lassé de tous ces sacrifices. J’ai cru le voir saigner, peut-être va-t-il mourir.

Cette série photographique raconte des trésors rencontrés en Colombie et en Équateur. J’ai tenté de saisir une beauté inquiétante, en sursis et qui place la Nature au centre d’un mystère, à l’origine des mythologies. Celle de sa création et de sa destruction.

Antoine VINCENS DE TAPOL

Depuis quelques années, Antoine VINCENS de TAPOL compile une approche anthropologique (sa formation initiale) et l’utilisation du texte avec la force artistique et subjective de la photographie.

Son premier thème de prédilection prend racine dans sa vie personnelle, une adolescence passée à la campagne ; ainsi comment les adolescents vivent leur jeunesse, leurs espoirs, leurs craintes, leurs codes, leurs rites avec cette question sous-jacente : quelle empreinte le territoire a-t-elle sur eux ?

Il a été finaliste du prix HSBC pour la photographie, du prix de l’Audace Culturelle et Artistique et de la Bourse du Talent.
Il est né à Cognac en 1978 et vit à Paris.