GHARBI Camille

PREUVES D’AMOUR

GHARBI Camille

PREUVES D’AMOUR

Cette série de photographies cherche a questionner la violence domestique et la réponse que nous lui faisons, à travers son expression la plus extrême : le féminicide conjugal.

En France, une femme est tuée tous les trois jours par son compagnon ou ex-compagnon.

Cette information est une statistique relativement stable, qui ressort ponctuellement dans la presse écrite ou audiovisuelle.

Les « drames conjugaux » ou autres « crimes passionnels », ponctuent les rubriques « faits divers » des presses locales avec une constance qui flirte avec la banalité. Quelques lignes, précédées d’un titre laconique, relatent des affaires qui se répètent ou se déclinent. C’est l’histoire d’un homme qui a tiré sur sa femme qui souhaitait le quitter, avant de retourner l’arme contre lui. Ou bien celle d’un autre, qui a poignardé sa compagne dans un « coup de folie », car il la soupçonnait de le tromper. Des « faits divers » dont la fréquence et le traitement médiatique donnent presque l’impression que la violence conjugale est un phénomène endémique, contre lequel on ne peut pas faire grand chose.

Certains détails glaçants attirent parfois plus particulèrement l’attention des médias, et la nôtre par la même occasion. Comme l’histoire de Marcelle, retraitée, décédée le 2 mars 2017 à l’âge de 90 ans, tuée par son mari à coups de casserole. Ou celle de Thalie, consultante, décédée le 19 août 2017 à l’âge de 36 ans, battue à mort par son conjoint à coups de robinet. Le sordide appelle l’indignation, et soudain, par le truchement de l’objet, la violence d’un acte qui aurait presque pu passer inaperçu prend toute sa dimension.

Mon travail photographique se concentre précisément sur ces objets du quotidien qui se voient transformés en armes de crimes. Ces artefacts familiers, issus pour la plupart de mon propre domicile et photographiés sur un fond bleu clair sobre, ne permettent pas de saisir de prime abord la violence des faits auxquels ils font référence. Cette prise de distance impose un temps de réflexion.

Les meurtres de femmes par leur conjoint, ex-conjoint, ou amant, ne sont pas de simples cas isolés qui toucheraient une certaine catégorie de la population. L’analyse des articles de presse rapportant les décès des 253 femmes qui ont -à ce jour- « succombé aux coups de leur compagnon ou ex » en 2017 et 2016 montre qu’il s’agit d’un phénomène de société qui touche toutes les catégories socio-culturelles, qui peut avoir lieu au sein de couples de tous âges et de toutes professions.
Ces drames montrent des similarités trop prononcées pour être anodines : tous surviennent presque systématiquement dans des contextes de couples en crise ou au bord de la séparation, de jalousie, ou de possessivité exacerbée d’un conjoint sur sa « moitié ».

La récurrence de ces crimes est trop forte pour être fortuite. Elle révèle au contraire une violence genrée dont il est grand temps de prendre toute la mesure.

Le meurtre est-il vraiment une preuve d’amour ?