• Caroline HAYEUR

Radioscopie du dormeur

« Radioscopie » est un terme emprunté à l’imagerie médicale qui suggère l’observation des mouvements internes du corps.

Mais il est moins question ici de technique aux rayons X que d’une photographie infrarouge permettant de capter les mouvements de corps endormis. Radioscopie du dormeur, le dernier projet photographique de Caroline Hayeur, nous plonge dans les nuits pour y examiner les habitudes gestuelles du sommeil, rythmées par ses différents cycles.

Mis en examen par l’artiste, les participants, célibataires, en couple ou en famille, ont confié à la photographe l’intimité de leur repos nocturne.

Corps fusionnés sous des draps froissés, couvertures modulant les formes, l’humain est ainsi pris en flagrant délit d’abandon, livré à l’appareil photo comme seul témoin de son état ensommeillé. Quelques regards, tantôt somnolents, tantôt éveillés, jettent un coup d’œil furtif dans le noir, les pupilles dilatées par la pénombre. Quelle heure est-il ? Le temps se fige jusqu’à ce que l’un des capteurs placés au-dessus du lit détecte un nouveau mouvement et enregistre l’instant.

Radioscopie du dormeur est un projet documentaire qui se situe à la lisière entre étude scientifique et recherche anthropologique. Cette série en noir et blanc – l’artiste privilégiait jusque-là l’usage des couleurs acidulées et contrastées dans sa production photographique – vient s’inscrire logiquement dans l’enquête menée sur les rituels corporels par Caroline Hayeur tout au long de sa pratiqueartistique.

Le projet réunit en effet plusieurs thématiques récurrentes relevées dans ses œuvres précédentes : l’espace intime de la chambre, déjà terrain d’observation dans les séries Mes Nuits Blanches (2003) et Adoland (2014–2017), ou la collecte de mouvements du corps, au cœur des ensembles Rituel festif (1997), Tanz Party (2002), Amalgat, danse, tradition et autres spiritualités (2007) ou encore Abrazo (2016 en duo avec D.Kimm), consacré au tango.

En 2010, son travail Humanitas rendait compte quant à lui, du cycle de la naissance à la mort par une mosaïque photographique répertoriant les émotions primaires.

Outre ces thématiques qui semblent nourrir constamment ses projets, Caroline Hayeur démontre un intérêt grandissant pour la recherche technique et les formes installatives au sein de sa pratique documentaire.

Dans ce projet entamé il y a plus de quatre ans, le dispositif photographique représente une part importante de l’expérience. Pour ce faire, l’artiste s’est inspirée des caméras de chasse censées surveiller le gibier dans un environnement naturel.

Après l’obtention de résultats concluants, elle a opté pour un équipement comprenant trois appareils photo, dont un fournissant des images haute définition et deux caméras de chasse. Installés sur une structure surplombant le lit des participants, l’un est programmé pour des déclenchements réguliers, tandis que les autres possèdent un détecteur de mouvement. Favorisant ainsi « l’invisibilité de l’appareil », la photographe revient au petit matin pour collecter les photos et les « images animées » enregistrées pendant la nuit, afin de procéder à une analyse des données.

Curieuse, sans être voyeuse, intime plus qu’opportuniste, la démarche de Caroline Hayeur s’inscrit dans un art documentaire dont la nature collaborative vise ici à sonder différents « types » de dormeurs.

Le retrait volontaire de la photographe dans un processus « en temps réel » de la prise de vue remet en question les nouvelles stratégies documentaires devenues protéiformes et propose une réévaluation de notre rapport à la présence (ou non-présence) du photographe. Entre régime artistique et documentation, Radioscopie du dormeur navigue à même ces frontières confuses où désormais le fond et la forme se confondent et se complètent.

Caroline HAYEUR

Résolument optimiste, marquée par une expérience de terrain depuis le début des années 90, Caroline Hayeur explore les questions du corps social : convivialité, partage et différences. Sa quête est celle des lieux et des formes de socialisation – amicale, filiale, communautés plurielles – dans la lignée du documentaire et du portrait humaniste.

Elle soude certaines relations en provoquant ou en mettant en relief des situations de proximité. Le mouvement, la danse, le geste font partie de ses thématiques récurrentes pour tenter de saisir l’essence des rapports humains. (Rituel Festif, Amalgat, Humanitas)

La photographe a développé la capacité d’approcher des inconnu.e.s dans leur environnement intime et de les mettre en confiance dans un vrai dialogue. Elle agit telle une anthropologue visuelle et sa démarche peut être qualifiée d’ethnologie du quotidien.
(Adoland, Radioscopie du dormeur)

Depuis 2003, l’artiste ajoute à sa pratique les arts médiatiques et la vidéo lui permettant d’approfondir ses recherches, et de les élargir à l’image animée et la dimension sonore. Son approche formelle consiste à donner du mouvement à des photographies pour élaborer des histoires abstraites.

Elle explore aussi la déconstruction du temps au moment de la prise de vue via la technique « stop motion ».

En vidéo, elle privilégie les « tableaux vivants », laissant les personnages se mouvoir dans un cadre fixe. (Mapping Territories, Dans la forêt, Abrazo)

Curieuse, mais jamais voyeuse, intimiste plutôt qu’opportuniste, la démarche de Caroline Hayeur s’inscrit dans un art documentaire de nature collaborative.