LE BOUR Sidney Léa

Les forçats du soufre & les Instagrameurs

LE BOUR Sidney Léa

Les forçats du soufre & les Instagrameurs
(KAWAH IJEN, INDONESIE)

Un mineur émerge d’un nuage de fumée jaune. Sur ses épaules, 80 kilos de soufre sont logés dans deux paniers en osier. Il remonte pas à pas entre 150 et 300 de kilos de soufre par jour et revend le fruit de son labeur 6 centimes le kilo. Le soufre sert à fabriquer des produits cosmétiques, des allumettes, des engrais et insecticides et à raffiner le sucre. La mine du Kawah Ijen est connue pour ses conditions de travail dantesque et sa stupéfiante beauté. Un lac d’acide bleu turquoise jouxte le site d’extraction. Les pentes abruptes et ciselés du cratère s’érigent comme des remparts autour de cet endroit d’exception. Tout serait idyllique si un gaz toxique ne faisait pas partie de l’équation. Les nuages de soufre dans lesquels les mineurs évoluent sont extrêmement dangereux pour la santé. Même avec un masque, les particules s’infiltrent dans les sinus, la gorge et les poumons.

La nuit, un phénomène rare participe grandement à la notoriété du volcan Ijen. Le méthane qui s’échappe du sol entre en combustion au contact de l’oxygène et crée des flammes bleues. Plus de 100 000 personnes par an font l’ascension de son cratère pour observer cette curiosité de la nature. À 1h du matin, d’étranges lucioles affrontent la dense pénombre de la nuit équipées de lampes frontales. Pour atteindre le sommet, elles gravissent 3,6 kilomètres en tâtonnant et slalomant dans l’obscurité. Le long du chemin, les mineurs ayant parfaitement compris l’intérêt de ce nouveau filon crient à tue tête « Taxi taxi ! ». Ils proposent de convoyer les touristes paresseux ou peu sportifs jusqu’au sommet en l’échange d’une coquette somme. Equipés de trolleys, qui leur servent habituellement à redescendre le soufre au pied du volcan, ils installent confortablement leurs clients et les tirent jusqu’en haut.

Le juteux business ne s’arrête pas là. Tous les groupes - ou presque - sont accompagnés d’un guide qui est, le plus souvent, un ancien mineur reconverti. Sur la crête, des loueurs de masques à gaz refourguent leurs camelotes contre quelques euros à des touristes peu avertis. Les filtres ne sont pas changés régulièrement, donc inefficients. D’autres mineurs font des extras en vendant des souvenirs. Ils les fabriquent eux-mêmes en versant du soudre liquide dans des moules. En quelques secondes, le liquide se solidifie et prend de la valeur. Une tortue de quelques grammes sera vendue entre 5000 et 50 000 roupies selon la générosité de l’acheteur. Soit l’équivalent de 5 à 50 kilos de soufre portés au sommet du cratère.

Les mineurs ont également appris à monnayer leur image. Ils acceptent volontiers de poser ou de faire un selfie avec un touriste. Mais, ils n’oublient pas de leur rappeler la règle : « Photo photo. Money money. ». Et, on les comprend quand on les voit assaillis par une horde de touristes chinois qui ne les laissent pas faire un pas sans leur coller un appareil photo sous le nez. Le contraste entre ses forçats du soufre et ses accrocs à Instagram et autres réseaux sociaux est saisissant.